Le Katazome : impression textile subtile

Nous aimons la richesse et la diversité de la création textile contemporaine et depuis le début de Maison Godillot, nous partons régulièrement à la découverte de créateurs et artisans qui travaillent des matières naturelles et réalisent des motifs et décors uniques grâce au tissage, à l’impression ou à la teinture.

Un des procédés emblématiques des arts textiles japonais qui nous a particulièrement séduits est celui du Katazome, que les créateurs de Kata-Kata ont si bien su moderniser avec leurs dessins poétiques.

Nous avons eu envie de vous faire découvrir cette technique ancestrale qui a eu beaucoup de succès en Europe et en France au XIXème siècle grâce aux mouvements Arts & Crafts et Art Nouveau et qui reste aujourd’hui bien vivante.

Populariser les étoffes décorées

Le Katazome est un procédé de décoration qui prend ses racines au 8ème siècle, dans l’époque dite de Nara, où des techniques d’impression de motifs sur textile et papier, à partir de blocs de bois gravés ou percés, apparaissent. Mais c’est véritablement pendant la période Edo, qui s’étend du XVIIème à la fin du XIXème siècle que le Katazome prend sa forme actuelle et devient hautement populaire dans tout le Japon et en Occident.

La réalisation de décors par dessin ou teinture a l’avantage de permettre de créer des motifs complexes, sur tout ou partie d’une étoffe, de façon bien plus simple et économique que par le tissage, les brocards étant complexes à réaliser et très couteux. Le développement de ces techniques dans toute l’Asie et l’Afrique, dans des périodes très anciennes, signe la popularisation, auprès du plus grand nombre, du décor sur tissu, jusque-là réservé à une élite. Le Katazome fait partie des méthodes de teinture que l’on nomme « en réserve »

La pratique de la teinture « en réserve »

On retrouve traditionnellement deux grandes techniques de teinture dite « en réserve » ou « par épargne », c’est-à-dire que le motif sera protégé de la teinture et apparaitra en blanc sur un fond coloré, mais pourra aussi être teint ou peint dans un autre coloris dans une seconde étape.

Il y a tout d’abord les procédés mécaniques, qui permettent d’empêcher la teinture de pénétrer à certains endroits grâce à des coutures, un pliage ou un nouage, comme dans le Shibori japonais, le bandhani indien, le bazin africain et leur réinterprétation occidentale récente, le tie and dye (littéralement « attache et teint »). Le tissu est ensuite plongé dans un bain de teinture, traditionnellement d’indigo. Une fois sec, les attaches sont dénouées, révélant les motifs.

Cette réserve peut aussi être créée par un procédé chimique. Le dessin est réalisé avec une pâte, une sorte de colle, ou protégé par de la cire, ce qui le rend imperméable à la teinture. On devra, une fois le tissu teint, dissoudre cette substance par rinçage, ou en la faisant fondre, pour faire apparaître l’impression.

On retrouve dans toute l’Asie ces étoffes réalisées par épargne chimique, les plus connues étant, sans aucun doute, les batiks indonésiens et malaisiens, dont les dessins sont réalisés à la cire, mais aussi le tsutsugaki et le Chusen japonais, dont la réserve est faite de pâte de riz. L’Ikat est issu d’un procédé similaire, mais ce sont ici les fils qui sont teints en réserve de cire, avant d’être tissés, créant des motifs floutés.

Le Katazome fait partie de la famille des techniques de teinture en réserve chimique, mais il possède en plus la particularité de nécessiter l’utilisation de pochoirs pour la réalisation des imprimés, kata signifiant forme et someru, teindre.

Une technique de teinture naturelle complexe

Pour réaliser les pochoirs, les katagami, qui seront nécessaires à l’impression des tissus, on utilise du papier Washi, fait à partir des fibres de murier, le kozo. Plusieurs feuilles sont superposées les unes aux autres et enduites d’une décoction de kakis fermentés nommée Shibugami, le tout est fumé, afin de rendre le pochoir imputrescible. On appose ensuite sur le katagami, une gaze de soie qui sera laquée, afin de l’imperméabiliser. On peut alors découper dans le pochoir des formes délicates avant de procéder à l’application de la pâte de réserve. 

Elle est préparée avec de la farine de riz glutineux et du son de riz. Ce mélange est étalé au travers des trous du pochoir grâce à une petite spatule en bois. Le pochoir est placé sur le tissu de façon à répéter le motif ou utilisé uniquement en motif central. On étire ensuite le tissu grâce à des pinces en bois et des baguettes en bambou puis on laisse le tout sécher au vent.

Pour procéder à la teinture, des pigments sont mélangés à une décoction d’algues. Cette préparation, nommée Funori empêchera la couleur de baver sur les bordures des motifs et sera appliquée sur tout le tissu au pinceau ou par trempage. Le dessin est ensuite flouté pour y ajouter de l’expressivité, avec une teinture nommée Bokashi appliquée au petit pinceau.

Le tissu teint est laissé à sécher puis passé à la vapeur pendant 30 minutes. On le laisse ainsi tremper dans l’eau pendant une nuit entière. La pâte de riz, gonflée par l’humidité sera facile à enlever. On applique ensuite un fixatif, et enfin, on laisse de nouveau tout sécher au vent. Le katazome est prêt.

Un art populaire vivant dans la tradition et la création contemporaine

Les tissus décorés en katazome servent depuis leur origine à confectionner des vêtements formels ou quotidiens, des accessoires ainsi que des textiles décoratifs. Si traditionnellement c’est à l’indigo qu’ils étaient teints, leur conférant cette teinte bleue si caractéristique, tous types de pigments sont désormais utilisés. Par ailleurs, la technique du Katazome s’applique sur des toiles de lin, coton ou soie, mais aussi sur du papier afin de réaliser, par exemple, des éventails.

Les motifs choisis par les artistes sont à l’origine inspirés par la nature, la faune, la flore, les objets usuels et sont porteurs de messages symboliques. Kiku, le chrysanthème, est le symbole de la famille impériale, Tsutsugaki, mêlant pins et tortues, celui de la longévité, Tsuru, la grue, celui de la santé et de la paix, Tatsu, le dragon, celui de l’énergie, Ougi, l’éventail, est un signe d’élégance et de raffinement et les fruits et les fleurs du Ginko représentent le yin et le yang, 

Ces textiles, rendus populaires au XIXème dans toute l’Europe, grâce à la multiplication des échanges commerciaux avec le Japon pendant la période Edo, ont inspirés beaucoup de créateurs occidentaux du mouvement Arts & Crafts, par l’harmonie graphique de leurs formes, qui exprimait parfaitement leur idéal d’une beauté sans artifice inspirée par la nature.

L’artiste Keisuke Serizawa a largement contribué à partir des années 40 à offrir une vision moderne de l’impression textile. Les katazome abstraits, graphiques et colorés sur textile et papier, de ce membre éminent du mouvement Mingei, valorisant des Arts Populaires nippon, lui ont même valu de se voir décerner le statut de Trésor National Vivant par le gouvernement japonais.

Le katazome continue d’inspirer créateurs textiles et artistes qui lui insufflent un esprit moderne, à l’instar de la peintre japonaise Mika Toba, qui réalise des fresques étonnantes inspirées par les paysages vietnamiens en katazome ou le duo de Kata-Kata, composé de Takeshi Matsunaga et Chie Takai. Ces jeunes artistes diplômés de la Tokyo Zokei University, créent dans leur atelier du quartier de Seijo à Tokyo un univers graphique empli d’une nature drôle et onirique qui nous enchante. Ils racontent grâce à leurs Katazome, sur textile et papier de véritables petites histoires d’animaux fantasques et d’humains drolatiques aux couleurs vibrantes, démontrant la vivacité de cette technique inchangée depuis plus de 200 ans.

Photos :  

kata-kata04.com

kimonos studiointernational.com

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